Le roi de France Louis XI fit à maintes reprises éloge du puissant amiral breton Jean de Montauban (1412-1466), fils de Guillaume de Montauban et de Marguerite de La Roche-Bernard, dame héritière de Faugaret :
il n'y a seigneur en France, ne nostre frere, ne autre, ou ung filz, si nous l'avions, que n'y eussions voulentiers envoyé pour vous faire tout l'onneur qui nous est ou monde possible, toutesvoies, pour ce que ledit admiral nous a servy en nostre neccessité, et que avons en lui toute fiance ...
C’est de lui que l’histoire manuscrite attribuée à Amelgard, un prêtre de Liège, chroniqueur, parle en ces termes:
Personnage emblématique, nous savons qu'il aimait les livres, pour preuve la commande qu'il fit en 1464 d'un exemplaire d'oeuvres d'Aristote :Joannes dominus de Monte Albano natione Brito erat vir inexplicabilis avaritiæ sine fide pietate et justitiâ pecuniâ congerendi et congregandi incre dibili flagrans ardore ...
Par ailleurs, Robert du Val, un théologien normand qui fut chanoine de Chartres (A), lui dédia (entre 1461 et 1466) une traduction des Synonyma d'Isidore de Séville (Paris, BnF, Fr. 2424) composée à sa demande:A maistre Estienne de Balerme, escripvain, pour ung livre des Estiques, Politiquez et Yconomiques, que il escripvit à Carentan pour mondict seigneur [Jean de Montauban], et le lui rendi prest, par marchié fait avequez ledict escripvain par mondict seigneur par le prix et some de xxxv escus ; lequel escripvain bailla et délivra ledict livre tout prest a mondict seigneur en la presence de Amaury de Plumaugat, Loys de la Pallu, maistre Guillaume de Cerisay et aultrez, et commanda à ce present viconte [de Carentan] paier ledict escripvain de ladicte somme de xxxv escus, valient lu 1. x s. t.
Pareillement, deux livres d'heures commandités par Jean de Montauban ont été identifiés, dont le sien propre à la Bibliothèque nationale de France (Paris, BnF, Lat. 18026). Nous consacrerons cette présente notice au second (Rennes, Bibliothèque Métropole, ms 1834) qui fut recomposé avec un calendrier adapté et offert probablement à sa soeur, Isabeau de Montauban lors de son mariage, en février 1436, avec Tritan (1) Du Perier, comte de Quintin.Donc vostre noblesse qui desire en soy et en ses subjetz avoir bonnes meurs m’a commandé a translater ce livre de latin en françois qui en soy contient bonne discipline, car il introduit l’omme qui pour ses pechés et les miseres de ce monde lamente jusques au desespoir, et Raison qui le conforte et remet en esperance. Aprés, luy baille enseignemens par lezquelz il se gardera de renchoir, evitera les temptacions et concupiscences et gardera la voie de bien vivre par laquelle ira a souveraine joie.
...
Cy est la fin dez synonymes de Ysidore translaté au bon desire de tresnoble et excellent seigneur monseigneur de Montauban, amiral de France, par maistre Robert du Val, natif de Rouen
Copié à l'identique sur son modèle parisien, quelques bordures et enluminures sont restées inachevées.
Si le corps du livre d'heures porte toujours les armes de Jean de Montauban, de gueules à neuf macles d’or, au lambel à quatre pendants d’argent, le calendrier a reçu quelques inscriptions relatives au nouveau couple, et Tritan Du Perier a fait apposer sur plusieurs folios (67v, 68v, esquisse au f. 77v) ses propres armes (aux 2 et 4, d'argent au chef de gueules, qui est Avaugour / Quintin, aux 2 et 3, d'azur à 5 billettes d'or (Du Perier) :
Le calendrier (f. 1- 12v) de ce livre d'heures est breton et plutôt briochain : Guillermi briocen[sis] ep[iscop]i (10 janvier) ; Gildas, abbé (29 janvier) ; Guennolé, abbé (3 mars) ; Paterne (16 avril); Corentin (2 mai); Tugdual, évêque (6 juin), Mériadec, évêque (9 juin); Méen (21 juin); Jacut, abbé (5 juillet), ; Turiau, évêque (13 juillet), ; Samson, évêque (28 juillet), ; Guillaume (de Saint-Brieuc), évêque (29 juillet), ; Armel, ermite (16 août); Melaine (11 octobre); Martin de Vertou (24 octobre); Ives (29 ocotbre); Gobrien (3 novembre); Melaine (6 novembre); Malo (15 novembre); Corentin (12 décembre). A noter les deux fêtes de saint Corentin.
Tritan Du Perierétait fils de Geffroy Du Perier, comte de Quintin, seigneur du Perier, de la Roche-Dire et du Plessis-Balisson, et d’Isabeau de La Motte, fille unique et héritière de Louis de La Motte, seigneur de Bossac, Kerdavi et de Sourdéac, et de Marguerite Auger. Pour services rendus au duc, c'est en 1451, que la seigneurie de Quintin est érigée par Pierre II en grande baronnie de Bretagne, du nombre des neuf qui donnaient droit de préséance à l'assemblée des Etats et, plus tard, de présider l'ordre de la noblesse (Dom Morice, Preuves, col. 1562-1563). Tritan fit reconstruire vers 1468 l'enceinte murale de sa ville de Quintin et rebâtit en entier, sur un plan plus large, son château. Il assista au serment prêté à Louis XII, roi de France, par les barons, à ses ambassadeurs, en 1477, fut témoin au ban de la baronnie d'Avaugour, fait par le duc de Bretagne à son fils naturel en 1480, et fut excusé de ne pas s'être trouvé au Parlement tenu à Rennes en 1482, étant alors à "Saint Jacques". Il fut exécuteur testamentaire de Jean de Montauban, son beau-frère, en 1476; donna quittance au seigneur de Montauban, son beau-père, le 14 avril 1448, d'une somme de 5000 livres, faisant partie de la dot de sa femme; fut caution de Jean de Rieux, auprès du duc de Bretagne, en 1476, et parut à la montre de la noblesse de l'archidiaconé de Dinan, le 24 juin 1481. Il mourut le 24 décembre 1482. Son gisant, élevé jadis dans l’ancienne collégiale de Quintin, se trouve aujourd'hui à Cohiniac (Côtes d’Armor), au château de Rumain .
Source
Par son testament daté du 2 mars 1482, Tritan du Perier fondait deux nouveaux chapelains dans sa collégiale de Quintin, ce qui portait à dix le nombre des chanoines qui la desservaient. Christophe de Penmarc'h, évêque de Saint-Brieuc, confirma le 28 octobre 1505, le testament de Tritan sur la demande d'Isabeau de Montauban sa veuve (Saint-Brieuc, ACDA, 1G 268).
Tritan Du Perier fut probablement en relation avec Jean de Derval (1430 ca–1482, décédé la même année que lui) (2), entre autres pour un échange de livre. Un exemplaire du « Livre de Tulle, de vieillesse », une traduction du de Senectute par Laurent de Premierfait (Paris, BnF, Fr. 1187), porte en effet cette note au f. 91v:
Monsieur du Porer , je vous pry me prestez votre livre du débât de chiens et douaisiaulx (3) ; je vous envoye cestuy livre de Tulle, ainsi que votre gentilhomme m'a demandé. Escryt de la main Jehan de Derval.
D'après divers comptes de la seigneurie du Perier rendus à hault et puissant Tritan du Perier, conte de Quintin, sires du Perier, notamment d'après celui de 1460-1461, on voit que Tritan et son aïeul étaient alors en très bons termes. Le vieux Jean habitait le château du Perrier (à Kermoroc'h), où Tritan allait souvent le visiter avec belle compagnie et prenait un soin particulier d'entretenir sa garde-robe, comme le prouvent les articles suivants :
Mémoires de Société archéologique et historique des Côtes-du-Nord, t. III, 1889, p. 279.Pour la mise et despense d'un voiage que Monsr [Tritan du Perier] et Mademoiselle [sa femme Isabeau de Montauban] et aussi Monsr de Rieulx firent au Perier au mois d'octobre l'an LX (1460), poya ledit recepveur (du Perier) xi l. xviii s. vi d.
Charles Le Gay, joueur d'ogres (orgues), pour avoir esté jouer au Perier quant Monsr de Rieulx fut, poya led. recepveur, par mandement de Monsr, ung quartier froment.
En gibier et pour le drap d'une robe pour Monsr l'ancien [le vieux Jean du Perier] et d'une cornette, avecques panne pour ladicte robbe, par mandement de Monsr [Tritan du Perier] du xxie jour de janvier l'an LX (1461 n. s.), xii l. iiii s. ix d.
Notes
(A) La Bibliothèque Bodléienne d'Oxford conserve son exemplaire du "Roman de la rose" (Rawlinson C 537). Au verso de la première feuille de garde : "Ce livre est a maistre Robert du Val, prestre, bachelier en theologie, natif de Rouen".
(1) La forme "Tritan" est donnée par les documents de l'époque. De même pour Tritan de la Lande, chambellan et grant maistre d'ostel du duc, Tritan de Quenecquan, etc.
(2) Sur Jean de Derval voir l'ouvrage récent de Michel Mauger : Aristocratie et mécénat en Bretagne au XVe siècle. Jean de Derval, seigneur de Châteaugiron, bâtisseur et bibliophile
(3) Gace de la Buigne composa (1359 x 1377) le Roman des Deduis, vaste poème où est inséré (vers 5235-12174) un procès entre Déduit de chiens et Déduit d’oiseaux, le tout probablement influencé des Livres du roy Modus et de la royne Ratio. Edition Ake Blomqvist, Karlshamm, 1951 (Studia romanica Holmiensia, 3).
Manuscrit 1834 de la Bibliothèque de Rennes Métropole numérisé sur les Tablettes Rennaises
Manuscrit Fr.1187 de la Bibliothèque nationale de France numérisé sur Gallica
Frédéric Duval : Les traductions françaises d’Isidore de Séville au Moyen Âge, CMRH.
Diane E. Booton, Manuscripts, Market and the Transition to Print in Late Medieval Brittany, Ashgate, 2010, p. 58-63.
René Chassin du Guerny, Études historiques sur l'organisation de la seigneurie de Quintin, Rennes, 1905.
Chartrier du château de Quintin : Saint-Brieuc, ADCA, 114 J 1-58.
Première illustration : signature de Jean de Montauban, 30 novembre 1465 (Paris, AN, K 70, n° 30)
Manuscrit 1834 de la BM de Rennes : Livre d’heures à l’usage de Saint-Brieuc. Bretagne, vers 1430/1440. Parchemin. 129 f. 208 x 150 mm (90 x 60 mm). Réglure en brun clair. 15 longues lignes. Reliure en maroquin rouge, avec large encadrement de filets et fine roulette feuillagée sur les plats, du début du XIXe s. Enluminé par un peintre proche du maître des Heures de Rohan et du maître des Heures de Marguerite d'Orléans, nommé à présent le maître des Heures de Jean de Montauban, auteur des vingt premières grandes miniatures du manuscrit ; les autres, du même style, semblent avoir été exécutées par une main différente. Bibliothèque Marcel Jeanson (1885-1942) : Neuilly sur Seine : mercredi 10 Octobre 2001, lot n° 2. Etude : Claude Aguttes; Expert : Emmanuel de Broglie, Cabinet Revel (Paris).