Mon attention s'est portée récemment sur le colophon d'un manuscrit de la
Très ancienne Coutume de Bretagne (Paris,
Bibliothèque nationale de France, Fr. 1938), relevé jadis par Marcel Planiol
dans sa magistrale édition (1) :
Pourtant, là où Planiol avait vu "Lastornec", je pense qu'il faut lire "Lascornec" :Tu qui suxisti de Virgine virgineum lac || Regni celestis Lascornec participem fac
© Paris, Bibliothèque nationale de France, Fr. 1938, f. 108 [ numérisé sur Gallica ]
Au f. 109, la marque ancienne d'un possesseur : Je suis a maistre
Olivier Martin procureur es parlement Chancelerie et conseil de Bretaigne
(2)
Le patronyme LASCORNEC, encore courant dans les
départements bretons, est attesté dès 1448 dans les environs de Sarzeau
(Morbihan). Pour la signification voir asquornect,
"bien membru" (Gwénolé Le Menn, Une chanson satirique du XVIIe siècle en
dialecte de Haute-Cornouaille, dans Annales de Bretagne, 75, 1968, p.
693-704 (p. 697) [
en ligne sur Persée])
Revenant au colophon du manuscrit, je me suis rendu compte qu'il apparaissait
vers la même époque sous la main d'autres copistes. Ainsi, Georges de Brabant,
religieux de Saint-Bertin, l'utilise en 1471 dans le Saint-Omer, BM, 597
(oeuvres d'Aristote) ; Antoine Vlamincx de Berg-op-Zoom, décédé en 1504, dans
deux de ses manuscrits : Paris, Arsenal, 1067 et Bruxelles, BR, 1927.
Plus surprenant fut de découvrir un Louis Lascornec, civem
Nemavsi, installé notaire à Marguerittes, petite bourgade
proche de Nîmes, lequel poète à ses heures, a laissé quelques lignes où se
retrouve notre colophon à l'identique du manuscrit Paris, BnF, Fr. 1938. Ainsi,
sur le feuillet de garde de son registre notarial qui couvre les années 1497 à
1510 (AD du Gard, E 710) :
Entre l'intitulé du protocole et le premier acte :Deus
Je te prie que sans deffault
nuyt et jour te souveigne
que une foys mourir fault,
quoy que après en advieigne.
Homo
Mon Dieu, je te prie que par don
aujourd'huy tu m'octroyes pardon,
et me veuilhes fere ceste grace
de mourir en estat de grâce.
Si j'ay esté jeune de sens,
sens avoir fait aucun oultraige,
oultre age encores ne descens,
sens toutesfoys qu'est mon dommaige ;
hommaige doys à tout bon personnaige ;
pert son age qui va de mal en pire ;
empire est qui point ne se retire.
Deus, Creator omnium rerum,
det michi, Lascornec, scribere verum.
Tu qui suxisti de virgine virgineum lac,
regni celestis Lascornec participem fac.
La présence de Bretons dans cette région ne peut surprendre. L'épiscopat du
docte Alain de Coëtivy, évêque de Nîmes de 1453 à 1458,
engendra l'installation provisoire et parfois définitive de compatriotes. Ce
Louis est probablement un proche parent de Jean Lascornec,
notaire royal à Nîmes, où il signe plusieurs actes en 1459, 1476. Dans ce
dernier il se dit : Me Johanne Lascornec (3)
Trecorensis diocesis in Britannia, publico auctoritate regia
notario. (source :
Histoire civile, ecclésiastique et littéraire de la ville de Nismes)
Maître Jean Lascornec épousa une Nîmoise, Claudie
Blanchet, dont ont connait au moins une fille, Catherine Lascornet,
grace aux minutes du notaire Pierre Vitalis (Les Nimois à la Renaissance, ds
Revue du Midi, 4, p. 437. ) : Claudie Blanchet, dont la dot n'est pas
spérifiée, reçut "une houppelande de drap valant cinq florins et une gonelle de
drap rouge".
(1) Marcel Planiol, La très ancienne coutume de Bretagne : avec les assises, constitutions de parlement et ordonnances ducales, suivies d'un recueil de textes divers antérieurs à 1491, 1896, Rennes, J. Plihon et L. Hervé = numérisé sur Galllica
(2) ADLA, B 687 : bail à rente d'une alluvion sise en Loire, entre l'île de Bois et le Pineau, à Pierre Renaudin, notaire de la cour de Nantes, après l'exponse de C. Lemaître, qui la tenait de Colin et d'Olivier Martin (1514).(3) "Lascornet" dans le texte