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Channel: Le manuscrit médiéval ~ The Medieval Manuscript
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L'enlumineur et « historieur » Jean Pichore était-il Breton ?

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Bien que connue depuis le XIXe siècle, la production de l'enlumineur Jean PICHORE a fait l'objet ces dernières années de travaux importants dont l'ouvrage fondamental de Caroline Zohl, Jean Pichore. Buchmaler, Graphiker und Verleger in Paris um 1500, Turnhout, Brepols, 2005, et l'étude particulière de Sophie Cassagnes-Brouquet, Un manuscrit d'Anne de Bretagne : Les vies des femmes célèbres d'Antoine Dufour, Rennes, 2007. Les données biographiques du maître parisien sont au demeurant assez maigres pour les énumérer ici, dans ces quelques notes de présentation. 

Ainsi Jehan Pichore reçut du trésorier du cardinal Georges d'Amboise, au commencement de l'année 1502 et en juin de l'année suivante, 16# pour des "histoires" tant grandes que petites faites au livre de la Cité de Dieu et à un autre manuscrit qu'on ne nomme pas. Dans ces paiements trois grandes "histoires" et vingt sept petites figurent pour 4# (A. Deville, Comptes de dépenses de la construction du chateau de Gaillon, Paris, 1850, p. CLXV). Il est à ce stade intéressant de relever que le cardinal mécène emploie à l'occasion des "artisans" bretons pour exécuter ses ouvrages. Relevons par exemple dans ces comptes le nom de Raulet, dont le fils écrivit en 1502 cinq cahiers d'un manuscrit de la Mer des Histoires :

« Au Breton Raulet, pour V cayers de la Mer des Histoires que son filz a escripte, au pris de ung escu d’or pour cayer, payé pour le reste le IXe jour de novembre Vc II... lxxv s. »
A. Deville,p. 440.

Le manuscrit de la Cité de Dieu décoré par Jean Pichore est aujourd'hui conservé à la Bibliothèque nationale de France (Lat. 2070)


© Paris, Bibliothèque nationale de France, ms. Lat. 2070, f. 166V

A partir des précieuses indications des comptes de Gaillon, les décorations de plusieurs manuscrits ont pu être attribuées à Jean Pichore, parmi lesquels ont peu citer deux oeuvres de Pétrarque : Les Triumphes (Paris, BnF, Fr. 594) et Les Remèdes de l'une et l'autre Fortune (Paris, BnF, 224-225, traduction du De remediis utriusque fortunae, achevée le 6 mai 1503), offerts au roi Louis XII par le cardinal d'Amboise.


© Paris, Bibliothèque nationale de France, ms. Fr. 224, f. 2

En 1506 Jean Pichore enlumine un manuscrit des Vies des femmes célèbres du frère dominicain Antoine Dufour (Musé Dobrée, ms. 17 = description) - Voir l'édition de Sophie Cassagnes-Brouquet, Ouest-France, 2007.


© Nantes, Musée Dobrée, ms. 17

On a pu déduire aussi que Jean Pichoreétait déjà bien établi en 1499à l'époque où il décora un manuscrit du Discours de Plutarque sur le mariage de Pollion et Eurydice (Saint-Petersbourg, Bibliothèque nationale de Russie, Fr. Q.v.III, 3) exécuté à l'occasion du mariage de Louis XII avec Anne de Bretagne.


© Saint-Petersbourg, Bibliothèque nationale de Russie, ms. Fr. Q.v.III, 3

Jean Pichore devient alors un des enlumineurs les plus prisés de la capitale, composant pour une clientèle privilégiée, celle de la cour royale. C'est ainsi qu'il décore en 1517, commandé par les échevins d'Amiens pour Louise de Savoie, un manuscrit des Chants royaux en l'honneur de la Vierge (Paris, BnF, Fr. 145, numérisé sur Gallica), F.  Avril et N. Reynaud, Les manuscrits à peintures en France, 1993, n ° 156, p. 282-284). Sa production s'étendra au moins jusqu'en 1521.


© Paris, Bibliothèque nationale de France, ms. Fr. 145, f. 64

Pour Louise de Savoie, il enlumina aussi, après 1498, un exemplaire des Héroïdes d'Ovide (Paris, BnF, Fr. 873-874), et entre 1510 et 1515 le Trespassement de saint Jérôme (Paris, BnF, Fr. 421 : 


© Paris, Bibliothèque nationale de France, ms Fr. 421, f. 61v

Dans la Cité, faisant partie du domaine de l'Hôtel-Dieu, au coin méridional des rues du Sablon et du Marché-Palu se trouvait le Chat-qui-pêche, maison où demeurait, à la fin du XVe siècle, Pierre Pichore (Registres des délibérations du Bureau de la Ville, I, 33). Coyecque, L'Hôtel-Dieu de Paris, p. 218. Ce Pierre Pichore doit être apparenté à notre enlumineur.

L'îlot compris entre la rue Mazarine et la rue de Seine était encore tout en culture vers 1629, et se composait alors de deux pièces de terre. La première, celle du midi, en bordure sur la rue de Bussy, contenait deux arpents et demi et fut baillée à bâtir à plusieurs individus, dès 1530... La première pièce appartenait à l'aumônier de Saint-Germain-des-Prés, et ne fut séparée de la seconde qu'en 1510. Cette dernière s'étendait jusqu'au bord de l'eau, et contenait cinq arpents un quartier et vingt perches ; elle fut accensée, le 3 mai 1510, à l'enlumineur Jean Pichore, duquel elle fut acquise, le 19 septembre 1519, par les gouverneurs de l'Hôtel-Dieu, à l'occasion de la fondation de l'hôpital voisin, dit le Sanitat. (L. M. Tisserand, Topographie historique du vieux Paris, Région du bourg Saint-Germain, Paris, 1876, p. 209)

En 1520, les archives hospitalières font encore état d'une dépense de 250 livres en faveur de " maistre Antoine de la Vernade prestre" et de "Jehan Picore historieur et bourgeois de Paris pour acquisitions deritaiges"   (Inventaire sommaire des archives hospitalières antérieures à 1790, 6589, p. 185 (Layette 334, liasse 1452)

Enfin, le 5 août 1521, dans un document du Parlement de Paris, Jean Pichore apparait, peut-être pour la dernière fois, dans un litige relatif à l'héritage de son épouse. Il est alors veuf et père de trois filles.

Un aspect particulier de la carrière de Jean Pichore doit être également relevé. L'enlumineur exerça occasionnellement ses talents dans l'imprimerie, associé à Rémy Le Maistre, pour la publication de Livres d'heures. Mais peut-être, dans cette association Jean Pichore ne se consacra-t-il seulement qu'aux gravures. On lui doit ainsi des Heures à l'usage de Rome :

Les présentes heures à l'usage de Rome ont este imprimées et achevées A paris le cinquiesme jour dapvril. Lan mil cinq cens et trois. Par Jehan pychore, et Remy de laistre, demourant au croissant en la grant rue des carmes dessus la place maubert.

Les Heures de Jehan Pychore sont certainement les plus belles Heures imprimées sur vélin que puisse posséder une bibliothèque ; cet exemplaire, le seul que nous connaissions, tiré sur vélin, est orné de figures sur bois d'une grande beauté de dessin et de gravure. La reliure du xvii siècle est très riche ornée de rinceaux et très bien conservée. Sur le premier feuillet sont peintes les armes d'Adrian de la Rivière, chevalier de l'ordre du roy, S. de Chépy (Catalogue des livres et manuscrits composant l'ancienne et belle bibliothèque du château de Saint-Ylie (dans le Jura), Paris, Labitte, 1869 , p. V-VI et n° 193). 

Ci-dessous, l'exemplaire de la Bibliothèque municipale de Lyon :


© Lyon, Bibliothèque municipale, Rés A 490330, f. G3bis v
Exemplaire de Lyon


© Sotheby's. Vente du 2 juillet 2013, lot 41 : missel franciscain, ca 1510-1520 : atelier de Pichore


LES ORIGINES BRETONNES DE JEAN PICHORE...

L'origine bretonne de Jean Pichore a pu favoriser son parcours d'enlumineur auprès de la reine Anne de Bretagne... Quoiqu'il en soit le patronyme PICHORE, assez particulier il me semble, reste solidement attesté dans le département actuel du Finistère. Malheureusement les registres paroissiaux ne remontent guère au-delà de 1600. Des recherches supplémentaires devraient être poursuivies dans les fonds d'archives pour retrouver de la documentation plus ancienne. La source du patronyme doit se situer dans les cantons de Landerneau / Ploudiry. Parmi les actes de naissance nous avons relevé sur la base RECIF du Centre Généalogique du Finistère :

1645     Pays ou Canton : Landerneau     PICHORE    Catherine
1647     Pays ou Canton : Landerneau     PICHORE    Nicolas
1648     Pays ou Canton : Landerneau     PICHORE    Guillamette
1648     Pays ou Canton : Ploudiry           PICHORE     Jean

Dans la lignée d'autres enlumineurs bretons ayant "fait fortune" à Paris, comme Jean Pestivien, Jean Lavenant, ou - peut-être - "le maitre du Policratique de Charles V", d'imprimeurs de talent comme le précurseur nantais Jean du Pré ou le morlaisien Guillaume Anabat, le nom de Jean Pichore pourrait représenter une figure importante de la diaspora bretonne établie à Paris depuis le début du Moyen Âge.

Bibliographie sommaire
Caroline Zöhl, Jean Pichore : Buchmaler, Graphiker und Verleger in Paris um 1500, Brepols, 2004.
Sophie Cassagne-Bousquet, Un manuscrit d’Anne de Bretagne, Les vies des femmes célèbres d’Antoine Dufour, éditions Ouest-France, 2007,
François Avril, Nicole Reynaud et Dominique Cordellier (dir.), Les Enluminures du Louvre, Moyen Âge et Renaissance, Hazan, Louvre éditions, 2011, p. 223-225 (notice 119)

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