© Bibliothèque municipale de Nantes. Ms. 3072
La Bretagne (historique) s'enrichit régulièrement de nouvelles
numérisations. Ainsi, la Bibliothèque
municipale de Nantes s'emploie pleinement à promouvoir ses richesses
patrimoniales sur la toile, trésors parfois méconnus du grand public (et même
de certains spécialistes). Nous avons à plusieurs reprises fait référence à la
précieuse
bibliothèque des Oratoriens qui a fourni aux collections nantaises des
manuscrits de grande valeur, actuellement sous la garde de Marion Chaigne,
conservateur, laquelle a déjà participé à l’élaboration de la bibliothèque
numérique de Sainte-Geneviève (Paris).
Ce post n'abordera que quelques livres d'heures sur lesquels nous travaillons
pour
notre future publication : même modestes ils révèlent souvent des
parcours inattendus ...
Probablement ces vers ont-ils été écrits du temps de Jacques de Montbéron, seigneur de Miré, de Chartres et d’Avoir, décédé en 1542/1543. Il avait épousé Louise Goheau, dame de Souché et des Jamonnieres, fille de François Goheau, seigneur de Saint-Aignan-de-Grand-Lieu, et de Françoise Hamon, nièce de l'évêque de Nantes. En fait, le livre d'heures en question, exécuté vers 1420, pourrait provenir à l'origine de ces Goheau.« Le filz de Dieu du hault mont olympicque
Par charité qui son joli cueur picque
A rapaisé lire de Dieu son pere
Et pour Adam a souffert mortamere
Le delivrant du resgne pluthonique
Dame au seigneur Tant magnificque
Plut en ton corps faire ung temple deificque
Pour reposez comme au ventre sa mere
Le filz de Dieu »
Louise Goheau a fait peindre ses armes en fin du volume. : Parti au premier, coupé fascé d'argent et d'azur (de Montberon), et de gueules semé de trèfles d'or, à deux bars adossés de même (Clermont-Nesle), au second d'argent, à trois trèfles de gueules (Goheau).
François, seigneur de Monberon, de Maulévrier et d'Avoir, épousa le 28 mai 1403 Louise de Clermont, vicomtesse d'Aunay, d'où les armes de Clermont.
© Bibliothèque municipale de Nantes
Par la suite, Hector de Montbéron, fils de Jacques, inscrivit
sur le manuscrit les naissances de ses enfants, qu'il eut avec sa seconde
femme, Radegonde de Noyelles :
Concernant la provenance de ce somptueux manuscrit, nous avons relevé la présence sur la garde de reliure, de l'ex-libris armorié des Verdier de Genouillac, qui ont conservé la célèbre devise du fameux Galiot de Genouillac (1465-1546) : J'AYME FORTUNE.Le quatorziesme jour de septambre mil / cincq cens quatre vins sept René de Montberon / filz de Hector et de Ragonde de Noielle fut / né a dix heures du soir.
Nota que le jour de Nouel mil cinq cens quatre vins / huict Hector de Montberon fut né a dix houres du soyr / un dimanche »
« Louis de Montberon fut né le vint yesme jour de janvyer a deulx heures apres minuit / lan mil cinq cens quatre vint dix »
Nota que le dixneuf / yesmme jour de decembre / mil cincq cens quatre / vins troys [Adrienn]e de / Montberon fut nee a dix / heures du matin.
L'émotion nous gagne avec le manuscrit 19 de la BM de Nantes (col. des Oratoriens). En effet, plusieurs notes d'un ancien possesseur nous rappellent l'importance du livre d'heures à toute époque, livre gardé précieusement dans les familles, souvent pendant plusieurs générations. Celui-ci porte la marque d'un petit écolier de Nantes, alors à peine âgé de 12 ans et orphelin de père, Jean BUROT, qui se dit "bon enfant". Il note en 1612, et à plusieurs reprises, son nom en lettres capitales:
© Bibliothèque municipale de Nantes. Ms. 19
Ce Jean Burot, né le 10 novembre 1600 à St Nicolas de
Nantes, est le fils de Guillaume (1567-1610), marchand de la
ville, et de Guillemette Langlois (+ 1615). Il épousera le 28
août 1622, à Nantes, Anne Tourayne (1604-1685), fille de
François Joseph, sieur de la Brunière (1578-1623) et de Marguerite Luzeau, et
décédera dans la vieille cité ligérienne le 27 février 1659 (source : Gerard
Vinouse, d'après registres paroissiaux).
Noble homme Jean BUROT sieur du Pé, bourgeois à La Fosse de
Nantes, fut nommé échevin de la ville en 1658. "Marchand très
combatif, il mène la lutte en 1630 contre la concurrence de la colonie
portugaise" (Guy Saupin, Nantes au XVIIe siècle, PUR Rennes, 1996, p.
229, 230, 328).
Le parcours du livre d'heures, manuscrit 20, me parait tout à fait intéressant et nous instruit sur la circulation des manuscrits en Bretagne. En effet, ce n'est pas une production locale (et n'est donc pas à l'usage de Nantes). Les litanies sont plutôt flamandes (s. Amand, Ghertudis, Amelberga). La décoration et l'écriture ont un caractère méridional, et nous orientent vers l'Espagne. Josefina Planas, de l'Universidad de Lleida, que je remercie ici pour son aide, m'indique que le manuscrit a pu être exécuté en Castille, peut-être vers le milieu du XVe siècle. De plus, une main (antérieure à celle du texte principal, XVIe s.?) a noté, en fin d'ouvrage, quelques lignes en vieil espagnol (castillan ancien) (et non en Breton, comme l'affirme l'ancien catalogue) : "Dyze santo Agustyn que es imposible ser condenado qyen la sygyente oracion rezare cada dya" ("Saint Augustin dit qu'il est impossible que quelqu'un soit condamné s'il prie chaque jour l'oraison suivante). Je suis redevable de cette transcription à Mercedes López-Mayán (University of Santiago de Compostela).
Peut-être ce livre d'heures est-il arrivé par le grand port marchand de
Saint-Malo? Est-il passé avant par les anciens Pays-Bas
ou a-t-il été en usage dans la communauté flamande d'Espagne?
© Bibliothèque municipale de Nantes. Ms 20
Dès le tout début du XVIIe, en 1602, le manuscrit se trouve entre les mains du
recteur de Bourseul (Côtes d'Armor): Jean
DIVEU. Nous savons que celui-ci fut par la suite nommé dans une autre
paroisse des environs, à La Landec, où on trouve sa signature
sur un des registres paroissiaux, en 1630, au baptême de Jean Amiot : « par moy
Don Jan Diveu recteur de laditte paroisse ». Jean Diveu fut inhumé à
Plélan-le-Petit, le 11 avril 1634.
© Bibliothèque municipale de Nantes. Ms. 20
Nous n'avons pas encore découvert comment ce livre d'heures est advenu dans la
famille de Trevelec. Le nom de Jean de
Trevelec s'y trouve.
Il serait tentant de voir sous ce nom celui de Jean de
Trevelec (1594-1639) marié à Anne Martel, dame
de La Salle-Patissière. — Le 26 novembre 1639, fut inhumé Jean de
Trevelec, écuyer, sieur de Penhouet et de la Paticière, dans l'enfeu
de la Paticière (église Saint-Hermeland de Saint-Herblain). Le curé Chupaut a
ajouté :
N'a pas laissé au monde son pareil,
Et ceux qui ont cogneu son excellence
Regretteront à jamais sa présence.
Partant, lecteur, pour ce bon trépassé,
Dis avec moi : Requiescat in pace. »
Quelques décennies plus tard une main a noté les naissances des enfants de Mathieu de Trevelec (un frère de Jean) et de ses deux épouses, Jeanne Legal (X 1629) et Julienne Bourdic (X 1642) pour finir par une humble prière:
Le 16 octobre 1641 deseda Janne / Legal dame de Trevelec, agéé / seullement de 28 ans, premiere fame / de messire Mathieu de Trevelec sgr / dud. lieu et laissa six (« cinq » barré) enfans savoir / Jan Marie Yves Claude autre. Yves / et Fransois et Charlotte a presant religieuse / lad. dame fut enterée en leglise dher[bign]ac
Le 19e janvier 1657 deseda Julienne / Bourdic segonde fame dud. seigneur / de Trevelec agée de 48 ans et fut / enterrée en leglise S. Aubin de Guerande. Elle laissa 4 enfans / de ce mariage; savoir Jacques / Guillemette, Magdelaine et Pellagie
Prions Dieu pour eux/
Eternellemant /
Amy lecteur sy tu testonne
Qu'on recommande ses personnes
A toutte la posterité
Enquiers toy de leur hault meritte
Car cette ligne est trop petitte
Pour despaindre tant de bonté
Nous terminerons ce post avec le manuscrit 21, un livre
d'heures de moyenne facture, malheureusement mutilé de ses grandes peintures,
celui-ci d'origine bretonne, à l'usage de Nantes. Ayant fait partie des
collections du couvent des Minimes de Nantes, il est présenté
comme venant d'Anne de Bretagne: peut-être même a-t-il été exécuté pour
le duc François II (+ 1488). Certaines initiales
portent des mouchetures d'hermines ou des fleurs de lys (f. 44v, 57, 121,
etc.); au f. 49, en marge, un porc-épic; sur d'autres marges, la fameuse
cordelière.
© Bibliothèque municipale de Nantes. Ms. 21.
Un des possesseurs de ce manuscrit, au XVIIe siècle, y a laissé son nom, au f.
2v, Jean Philloux prebstre / de Toussains sur / les
Ponst, et au f. 178v : Jan
Philloux.
Nous avons retrouvé trace de ce prêtre dans le plus vieux des registres de
l'aumônerie de Toussaints de Nantes. Le malheureux fut inhumé
le 13 novembre 1605 dans le cimetière de l'hôpital de
l'Anerie, fondé en 1572 « pour y établir les malades pestiférés ». Le registre
précise bien « Mre Jean Philloulx, chapelain d'une chap[el]le
de Toussaincts, enterré au cymityere de la Sancté appelé l'Asnerye estante au
bas de la Fosse de Nantes. » (Nantes, AM, GG. 484).
L’aumônerie de Toussaints de Nantes se trouvait sur les ponts
« seize en Bièce, sur le chemin par où l'on vat de Nantes à Pirmil » (
fondation le 27 avril 1362 par Charles de Blois et son épouse Jeanne de
Penthièvre, pour les pèlerins qui se rendent vers
Saint-Jacques-de-Compostelle).
© Bibliothèque municipale de Nantes. Ms. 21
Ce livre d'heures fut, au XVIe s. aux mains d'une famille de marchands nantais,
les BIZEUL, plus exactement de Mathurin
Bizeul et Perrine Lesage. Mathurin fut un temps
installé à Bilbao, logé chez le négociant Ochoa Lanier (1563).
Remerciements à mon amie Cynthia J. Brown (University of California), à Mercedes López-Mayán (University of Santiago de Compostela); à Josefina Planas, Universidad de Lleida; à Claire Sicard (https://clairesicard.com/); Erik Kwakkel; Peter Kidd; Dominique Vanwijnsberghe; François du Fou; Alberto Velasco Gonzàlez ...
Lien vers les livres d'heures numérisés de la Bibliothèque municipale de Nantes